Louis Maurice Adolphe

Linant de Bellefonds

Linant Pacha probablement
photographié par Le Gray

L'arrivée en Egypte

Louis-Maurice-Adolphe Linant de Bellefonds naît à Lorient le 23 novembre 1799. Rien ne laisse alors présager sa brillante destinée égyptienne. Au contraire, c'est plutôt vers le Nouveau Monde que semblent l'entraîner ses premières années. Après lui avoir fait donner une éducation soignée, où l'accent est mis sur les mathématiques, le dessin et la peinture, son père, Antoine-Marie, officier de marine, l'embarque, tout jeune encore, à bord de son navire qui a pour mission d'escorter les bâtiments de commerce entre la France et l'Amérique. En 1814 - il n'a que 15 ans - le jeune Linant passe ses examens d'aspirant et, l'année suivante, participe à une campagne de sondages et de relevés sur les côtes de Terre-Neuve et du Canada. Ce rude apprentissage le prépare à ses futures explorations et aux nombreux sondages qu'il devra un jour exécuter pour le compte du gouvernement égyptien.

Le 12 août 1817, Linant s'embarque en qualité d'élève de la marine sur la Cléopâtre, frégate de la division du Levant affrétée pour une mission dirigée par le comte de Forbin, qui part visiter la Grèce, la Syrie, la Palestine et l'Egypte pour en rapporter dessins et relevés. L'un des artistes de l'expédition meurt au début de la traversée et Linant, dont on a sans doute remarqué les aptitudes pour le dessin, est chargé de le remplacer aux côtés du peintre Prévost. C'est ainsi que le jeune homme croque ses premiers panoramas, à Athènes, Constantinople, Ephèse, Saint-Jean d'Acre, Jérusalem; depuis Jaffa, l'expédition gagne Damiette en caravane, puis remonte le Nil jusqu'au Caire où elle débarque fin décembre. Au terme de la mission, Linant, fasciné par l'Egypte, décide de ne pas rentrer en France et, grâce à une recommandation de Forbin, entre au service du vice-roi Méhémet-Ali. Toutefois, n'étant pas encore mûr pour l'état de fonctionnaire, il ne tarde pas à démissionner et, de 1818 à 1830, il va, comme il l'écrira plus tard dans ses Mémoires sur les Principaux Travaux, "parcourir le pays dans tous les sens, depuis les Bouches du Nil (...) jusqu'aux Cataractes du Soudan, étendue immense contenant des contrées bien curieuses et bien différentes les unes des autres, surtout si l'on y ajoute l'intérieur des déserts au levant et au couchant en s'écartant du grand fleuve".

David Roberts : Audience du Vice-Roi à Alexandrie,
le dignitaire de gauche en habit sombre est Linant.

Le temps des explorations

En 1818-1819, il effectue un voyage en Basse-Nubie ; en 1820, prenant part à l'expédition du consul général de France Drovetti à Siwa, dans le désert libyque, il visite le fameux temple de l'oracle ammonien que nul Européen n'avait encore pu voir (ses dessins illustreront le Voyage à l'Oasis de Syouah publié par E. Jomard en 1823). Quelques mois plus tard, il fait avec l'Italien A. Ricci un premier voyage au Sinaï : partis du Caire, ils longent la côte occidentale de la péninsule, passent par les Fontaines de Moïse, le wadi Gharandel, Hammam Firaoun, pour se rendre à Maghara dont ils copient les inscriptions hiéroglyphiques. Leur intention est de traverser la péninsule d'ouest en est afin d'atteindre Aqaba et Pétra; mais l'insécurité de la région les contraint à renoncer à ce projet et, après avoir gagné Tor et ras Mohammed, ils s'en retournent vers le Caire en passant par Sarbout el-Khadem dont ils dessinent les monuments. Ce premier voyage au Sinaï a permis à Linant de nouer des contacts avec les populations bédouines et d'amasser des renseignements qui se révéleront fort utile pour celui qu'il effectuera avec Laborde, cette fois jusqu'à Pétra, en 1828.

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Ses autres expéditions ne se comptent pas : en 1821 il visite le Fayoum, puis l'Anglais W. J. Bankes l'envoie au Soudan avec mission d'en rapporter des documents d'ordre géographique et archéologique et de dessiner les monuments antiques. Quittant le Caire en juin 1821, le jeune explorateur n'en reviendra que treize mois plus tard, après avoir découvert, le 20 février 1822, les ruines de Messaourat et, le 28 février, celles de Naga, précédant de peu sur ces sites un autre français, Fr. Cailliaud, le découvreur de Méroé. En 1824, Linant fait un voyage de quelques mois en Angleterre où l'Association africaine lui propose de voyager pour son compte comme l'a fait Burckhardt; il revient donc en Egypte en 1825 et effectue encore plusieurs voyages en Nubie et au Soudan. En 1827, l'Association lui donne mission de remonter le cours du Nil Blanc le plus loin possible et donc de s'attaquer au passionnant problème des sources du Nil; gêné par l'hostilité de certaines tribus, il ne peut remonter le fleuve au-delà du 13e degré de latitude nord. Plus tard, en 1831, la Société de Géographie de Paris lui confiera la direction d'une nouvelle expédition aux sources du Nil, mais elle sera ajournée par le Gouvernement égyptien. La même année, le vice-roi l'enverra à la recherche de mines d'or en Etbaye. Toutes ces missions d'exploration, qui suivent de près les conquêtes militaires de Méhémet-Ali, ont un caractère essentiellement géographique et archéologique.

Parallèlement, Linant commence à s'orienter vers des études d'hydrographie : dès 1822, se rendant dans le nord-est de l'Isthme de Suez, il examine le tracé de l'ancien canal de Trajan, visite le lac Timsah, Péluse et Suez. En 1823 et les années suivantes il revient dans l'isthme, parcourt le désert compris entre le Nil et la mer Rouge, jusqu'aux couvents de Saint-Antoine et de Saint-Paul, puis les rivages de la Méditerranée, et étudie les divers canaux qui se déchargent dans le lac Menzaleh. "En 1827 et 1829, écrira-t-il plus tard, je retournai encore dans l'Isthme que je visitai de nouveau ainsi que ses environs, et c'est alors que je commençai les premières études d'un projet de communication entre les deux mers." C'est à cette époque aussi que Linant fait au Caire la connaissance de Laborde et qu'ils décident de partir ensemble en Arabie Pétrée; ce voyage est pour Linant une nouvelle occasion de parcourir l'isthme et plusieurs passages du texte de Laborde montrent clairement que l'idée d'un grand canal de communication a dû alors alimenter les conversations des deux compagnons.

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 Après le voyage à Pétra, son contrat avec l'Association africaine étant terminé, Linant décide de s'installer dans une vallée du Sinaï et d'y "passer plus d'une année isolé avec une bibliothèque choisie, écrit-il, afin d'étudier sérieusement et sans distractions pour acquérir ce qui me manquait de connaissances scientifiques, afin de prendre du service près du gouvernement égyptien en qualité d'ingénieur".

Linant en costume d'officier général turc

(Cliquer sur les décorations pour connaître
les différents ordres dont était décoré LMA)

Dès son retour en 1831 il est nommé Ingénieur en chef des travaux de la Haute-Egypte; c'est le début d'une longue et féconde carrière administrative qui, jusqu'en 1869, l'associera à la plupart des grandes réalisations de travaux publics : de 1830 à 1835 il réalise la modernisation du réseau d'irrigation de Haute-Egypte, de 1834 à 1836 il dirige les travaux du grand barrage sur le Nil, et il est nommé Ingénieur en chef des Canaux, Ponts et Chaussées de toute l'Egypte; en 1837, chargé de la direction des Travaux Publics au Ministère de l'Instruction Publique, il reçoit le titre de bey.

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Le ministre des travaux publics

Tout au long de ces années, l'idée d'établir une communication entre les deux mers n'a cessé de le préoccuper. Dès 1830 il avait communiqué ses idées à Mimaut, consul général de France puis à F. de Lesseps. Ses idées rencontrent, bien sûr, celles des saint-simoniens avec lesquels il se lie d'amitié. En 1841 il soumet son projet à la Compagnie Péninsulaire et Orientale et, en 1844, remet à Lesseps le projet complet de liaison des deux mers, avec plans et devis. En 1854, lorsque Lesseps obtient du vice-roi Mohammed-Saïd le firman de concession du canal, Linant est nommé ingénieur en chef des travaux, fonction à laquelle est rapidement associé l'ingénieur français Mougel; car Linant continue à être chargé par le gouvernement égyptien d'importants travaux. Il est nommé directeur général des Travaux Publics en 1862, devient en 1869 Ministre des Travaux Publics et membre du Conseil privé du vice-roi puis se retire de la vie active quelques mois plus tard pour se consacrer à la rédaction de ses Mémoires sur les principaux travaux d'utilité publique exécutés en Egypte depuis les temps de la plus haute antiquité jusqu'à nos jours (Paris, 1872-1873). Il avait précédemment publié L'Etbaye ou pays habité par les arabes Bichariehs (Paris, 1868). En juin 1873, le vice-roi lui confère le titre de pacha. Il meurt au Caire dix ans plus tard, le 9 juillet 1883, laissant d'innombrables notes, cahiers de voyage et dessins, dont la plupart restent encore inédits.

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Nombreux sont les voyageurs, français ou étrangers, qui, l'ayant rencontré au Caire, ont parlé de Linant dans leurs ouvrages en termes élogieux, le présentant comme un homme cordial et spirituel, et excellent dessinateur :Ampère, Cailliaud, Champollion, les saint-simoniens, Nerval, Flaubert, Maxime du Camp, Roberts, Stephens, etc.

Il eut parfois à souffrir des conflits qui l'opposèrent aux ingénieurs diplômés : c'était avant tout un homme de terrain auquel ses nombreux voyages avaient permis d'acquérir une connaissance intime du pays et de gagner très vite l'estime des populations indigènes. "C'est dans les causeries du soir, près du feu établi en plein air, que les Bédouins vous parlent de leurs traditions, de leurs légendes, des choses remarquables de leur pays; il y a toujours quelque chose à apprendre, en vérifiant autant que possible ce que l'on a entendu; et, quoique souvent j'aie eu des déceptions, cependant j'ai rarement été entièrement trompé sur ce que j'allais chercher ou voir, d'après le dire des Arabes avec lesquels je m'étais lié", écrivait-il à la fin de sa vie. Et sans doute tirait-il alors autant fierté du titre de pacha que du surnom d'Abd-el-Haqq, "serviteur de la Justice", que les Bédouins lui avaient donné dans sa jeunesse.

(Extrait de Voyage en Arabie Pétrée, éditions Pygmalion, 1994)

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